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Circonstance 4 - 21 & 23 mai 2023

Dernière mise à jour : 4 juin 2023

Film annonce du film qui n'existera jamais : “Drôles de guerres”. Salle Debussy, nous sommes assis tout en haut du balcon, assez excentré du centre (traduction : nous sommes presque arrivés en retard). Documentaire sur Godard, très intéressant, plein de vie, très flamboyant, beaucoup d’images différentes, laissant parler aussi bien Belmondo qu’Isabelle Huppert. Tous les témoins de Godard parlent de Godard. Et Godard parle de son cinéma. On voyage à travers le temps, on voit un peu tout, “Vous êtes des cons !”, la tarte (à la crème), “Je fais du cinéma, pas des films”. On ne s’arrête plus, Anna Karina, Johnny Hallyday, Claude Brasseur, les années cinquante, les années soixante, les années quatre-vingt, et l’année 2023. Drôles de guerres commence.


Je tombe du balcon : plus de bruit, plus de son ; plus de mouvement, plus d’acteurs ; plus de Jean-Paul, d’Anna, de Johnny, de Claude, de Jean-Luc. Plus personne n’est là, il y a juste la pellicule qui reste. Et une histoire, et un récit. Dans tous les collages superposés, dans toutes les photographies saturées, dans tous les mots parsemés, j’en repère un seul : “Épidiascope quantique”. Mais le prochain photogramme apparaît, ou est-ce un plan ? Une image ? Un collage ? Est-ce que l’objet est directement sur la pellicule ou devient-il la pellicule ? Alors “écran” 17, puis 25, puis 39, puis c’est fini. “J’ai rien compris”. Oui mais bon. En sortant de la salle, j’aperçois un détail qui retient mon attention sur un siège de ma rangée. Des résidus de Popcorns ?! Quelqu'un a mangé du Popcorns devant le film posthume de Godard ? Un mec est rentré, et là paf, “Ouais, Popcorns”.


C’est drôle quand même, cet aliment, si caractéristique du cinéma de divertissement qui rencontre une œuvre conceptuelle et abstraite. Comment ça marche ? Je regarde autour de moi, nous sommes dans une salle avec plus de cinq-cents places pour regarder un film sans acteurs, sans prises de vues réelles (enfin sans mouvement je veux dire), que des images fixes et des images d’archives d’un autre film de Godard. Ces deux mondes ne peuvent pas se rencontrer, ils sont si loin l’un de l’autre, le cadre ne peut supporter le tableau. Pourtant, ça “fonctionne”. Je me rappelle, durant ce silence glaçant du film posthume, les cris rauques et lointains de mouettes, sans doute confortablement installées sur le toit du Palais. J’avais l’impression que c’était dans le film, et je n’avais pas compris que ce n’était pas “prévu”, ou non ! Pas “dans” l'œuvre, enfin non ! Pas “normal”.


Tout peut entrer dans Drôles de guerres, les choses extérieures teintent les photogrammes d’une autre interprétation. “L’Épidiascope quantique” ! Je regarde ce que cela signifie sur mon téléphone. Je ne trouve que le mot “épiscope” qui définit un objet proche d’une “camera obscura” avec un système de miroirs. Il permettrait de voir des objets transparents. Godard compare la caméra à un ancien épidiascope quantique. Quantique semble vouloir désigner ici une chose plus complexe. Donc la caméra évoluerait bientôt en un appareil complexe qui permettrait de voir les choses transparentes, de voir l’invisible ? Ou peut-être de voir les choses exactement comme elles sont ? La conclusion que je tire ne me satisfait pas. Je n’ai pas retenu beaucoup, outre cette formulation. Je décide de voir une seconde fois le court-métrage.


J’arrive à avoir une place en double-programme, avec As Filhas Do Fogo. Pedro Costa et ses actrices sont là, les neuf minutes de ce premier court-métrage sont sublimes. Les trois comédiennes et le réalisateur sont venus tout droit du Portugal et se retrouvent devant Drôles de guerres. C’est surréel, ça n’a aucun sens, encore une fois, deux mondes s’entrechoquent. Et pourtant, ils ont l’air de cohabiter paisiblement, j’ai l’impression que c’est ça aussi “l’alchimie” de Cannes. Je suis bien plus proche de l’écran dans cette salle : ici, la musique caractéristique qui éclate m’effraie, j’ai l’impression que tout mon visionnage va changer. Pourtant, le public a la même réaction : au photogramme "Il est difficile d'attraper un chat noir dans une pièce sombre, surtout lorsqu'il n'y est pas." les gens rigolent. Enfin plus précisément, dans un premier temps, les francophones rient du texte original et, quelques secondes plus tard, c’est au tour des anglophones de s’amuser de la traduction.


Pareil, ce n’est pas prévu, et pourtant ça entre dans l'œuvre, ça “marche”. Et ça “marche mieux” sur moi, j’ai des points de repère, des bouées auxquelles me rattacher dans le flot de philosophie qui afflue. Je décèle un semblant de construction. Je me rends compte que ce n’est pas du tout une œuvre folle, abstraite et aléatoire, mais plutôt construite, découpée et obsessionnelle. À chaque “écran”, je me rattache au titre, Drôles de guerres. Donc l’absurdité de la torture ? La souffrance atroce pour rien ? Je donne un sens aux mots, une interprétation aux images, là où peut-être il n’y en a pas. J’ai l’impression que le réalisateur a planté des graines, a introduit de l’idée pure sur la pellicule. Mais alors, que voit-on sur la pellicule, c’est qui ? C’est quoi ? Jean-Luc Godard, Fabrice Aragno, Saint-Laurent ou les 3 ? Peut-être est-ce la mise-en-scène de Fabrice Aragno des derniers travaux de Jean-Luc Godard sous la direction de Saint-Laurent ?


Je vois une fabrication, une créature que personne ne peut approcher. Des collages, des photographies, des écritures ; des écritures sur des photographies sur des collages. Et parfois, on voit l’écriture directement sur la pellicule, cela semble avoir été rajouté ultérieurement. Les mots débordent du papier, Drôles de guerres déborde du cadre. Les règles sont comme les opinions, elles sont énoncées pour être évitées.

Article rédigé par Noé CASTANIER

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