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Quel avenir pour le Cinéma ?

Dernière mise à jour : 7 juin 2023



Critique de Chambre 999, Lubna Playoust, 2023


Festival de Cannes 2022. Dans l’espace cossu de l’une des chambres de l’hôtel Marriott interviennent trente cinéastes. Issus de générations différentes, de pays différents, parlant différentes langues, ils et elles témoignent, devant la caméra de la réalisatrice Lubna Playoust, de la diversité du cinéma contemporain tout en évoquant son avenir. Ainsi Chambre 999 s’appuie sur le modèle légué par Wim Wenders dans son Chambre 666.


En 1982, le réalisateur de Paris, Texas avait en effet convié ses pairs de passage sur la Croisette : Jean-Luc Godard, Paul Morrissey, Mike De Leon, Monte Hellman, Romain Goupil, Susan Seidelman, Noël Simsolo, Rainer Werner Fassbinder, Werner Herzog, Robert Kramer, Ana Carolina, Maroun Bagdadi, Steven, Spielberg, Michelangelo Antonioni, Yilmaz Güney, à une série d’entretiens individuels dans une chambre de l’hôtel Martinez. Le but était de prendre le pouls du cinéma, de questionner son passé, son présent et son avenir, en s’adonnant à l’étude de son déclin annoncé, à l’anatomie de sa chute prophétisée face à l’essor de la télévision et du support vidéo, entre autres. Pour se faire, Wenders soumettait deux questions à ses quinze homologues : « Le cinéma est-il un langage en train de se perdre ? Est-il un art qui va mourir ? ».


Le dispositif était simple, dépouillé, constitué de cinq éléments fondamentaux : une feuille de papier sur laquelle apparaissaient les deux questions, un sujet filmé au centre d’un cadre restreint, une caméra filmant sa silhouette, un magnétophone enregistrant sa prise de parole, et, à l’arrière-plan, à la fois présente et absente, pesante et transparente, la télévision, avec son petit poste aspirant occasionnellement le regard, et son flux de programmes parfois manuellement interrompu. Les cinéastes, laissés seuls, libres dans le confessionnal confectionné par Wenders, avaient la liberté de répondre aux questions posées, selon le ton, en fonction de la durée, des angles d’analyse et des postures physiques et intellectuelles de leur choix.


En résultait des témoignages rares, ceux des acteurs prestigieux d’une industrie s’interrogeant sur sa propre mutation, avec crainte, résignation ou optimisme. Alors que Jean-Luc Godard restait assis, fumant, flegmatique dans son fauteuil, proposant, éloquent, limpide ou sibyllin, une synthèse historiographique de la peinture, de l’essor du cinématographe et de la télévision afin de souligner les différences structurantes entre les médiums, Werner Herzog était le seul à prendre le temps d’enlever ses chaussures, le seul à éteindre la télé dans un geste punk, l’un des seuls à signifier sa volonté d’aborder les questions sans s’angoisser outre mesure du sort du cinéma.



Chambre 666 s’est donc imposé comme un document précieux, essentiel, comme une capsule temporelle prouvant que la crise actuelle du cinéma n’est absolument pas inédite. De fait, à travers un dispositif quasiment similaire, Lubna Playoust prolonge les questionnements de Wenders, en s’appropriant un sujet qu’elle fait intervenir dans le contexte des rapports conflictuels entretenus, de nos jours, entre le cinéma (au sens d’expérience de projection en salle, mais aussi de langage proprement cinématographique encré dans un certaine tradition technique et artistique) et l’expérience du flux de programmes offert par les plateformes de streaming vidéo.


S’intéressant à la convalescence du 7ème Art, à l’époque du Covid, de la mondialisation et des flux gargantuesques de données numériques s’échangeant sur tous supports, ou encore du capitalisme attentionnel dont le modèle est dominé par les géants Netflix, Disney+, Amazon, Instagram, YouTube, TikTok et consorts, Chambre 999 est tout autant une suite, une extension doublée d’un hommage à l’œuvre initiale, qu’un remake de cette dernière. Comme dans Chambre 666, une télévision impose d’ailleurs sa présence à l’arrière-plan, diffusant cette fois-ci les catalogues numériques de plusieurs plateformes de streaming.


La réalisatrice donne d’abord la parole à Wim Wenders, qui apparaît comme une figure tutélaire donnant immédiatement le ton. Le maître agit librement dans le cadre, se lève et le domine bientôt, tout en poursuivant ses réflexions sur l’impact de la révolution numérique sur la fabrication des films. La mélancolie du réalisateur laisse ensuite place aux discours de plusieurs générations de cinéastes, dont le nombre à été multiplié par deux depuis la version des années 80. Audrey Diwan, Joachim Trier, David Cronenberg, Shannon Murphy, James Gray, Arnaud Desplechin, Lynne Ramsay, Asghar Farhadi, Nadav Lapid, Claire Denis, Davy Chou, Baz Luhrmann, Alice Winocour, Ayo Akingbade, Olivier Assayas, Paolo Sorrentino, Agnès Jaoui, Kirill Serebrennikov, Cristian Mungiu, Kleber Mendoça Filho, Albert Serra, Monia Chokri, Ninja Thyberg, Pietro Marcello, Rebecca Zlotowski, Ali Cherri, Ruben Östlund, Clément Cogitore et Alice Rohrwacher défilent ainsi devant la caméra.


James Gray adopte par exemple une attitude nonchalante, un ton désabusé, et véhicule un discours résolument défaitiste sur l’avenir du médium. Arnaud Desplechin, de son côté, se veut plus tempéré, plus philosophe, en évoquant la déchéance perpétuelle du cinéma, tout en admettant que son renouvellement périodique est intimement lié à sa mort inévitable. Tandis qu’Audrey Diwan lie la problématique de l'essoufflement du 7ème Art à l’attention de plus en plus sollicitée d’une nouvelle génération de spectateurs, captivés, satisfaits par le flux de vidéos courtes mises en ligne sur les réseaux sociaux, TikTok en tête.



Dans Chambre 999, il faut voir comment la diversité des intervenants participe à fonder un propos nuancé, toujours en mouvement, jamais dogmatique, sur un futur par essence incertain suscitant à la fois espoirs et inquiétudes. Lubna Playoust défend un point de vue sans pour autant s’effacer derrière les paroles de ses pairs. Cependant la réalisatrice n’impose pas définitivement une conclusion, un diagnostique univoque sur l'état du cinéma, mais nous invite plutôt à un débat. En effet, avec leur singularité, leur érudition, et l’amour éprouvé pour l’art qu’ils et elles tentent de défendre au mieux, les trente personnalités qu’elle convoque débattent sans pour autant se rencontrer physiquement, tout comme leurs films dialoguent, à leur manière, en dépit de la disparité de leurs styles et des modalités particulières de leurs discours.



Par William Blampuy


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