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Classe tous risques (1960), Claude Sautet - Critique

Mégaphone. « Milano, Milano ». Le cadre est posé. Une foule. Un homme et son fils. Une glace. Une famille. Deux pères aimants. Des promesses. Des peurs. Un regard. Une voix-off. « Elle aurait voulu lui conseiller la prudence, mais à quoi bon ». Le dernier voyage. Le dernier argent. Une frontière. Et puis le train. Et puis le drame.


S’il existe un plaisir de cinéma qui ne peut réellement être apprécié que par les Français, c’est bien nos polars franchouillards. Prononcez « polar » pour qu’instantanément se mêlent images, titres, acteurs et bons mots : Les Tontons flingueurs, Blier, Clouzot, Audiard, Gabin, Ventura, Du rififi chez les hommes, et puis l’argot et ses « caves », « grisbi », « chnouf »… Les « films noirs » hexagonaux invoquent à l’esprit les intrigues de malfrats parisiens et solitaires au langage fleuri et délicieux, dont tout bon amateur connaitra les répliques les plus savoureuses. Ce pan du cinéma des années 50 et 60 semble alors apparemment bien éloigné de la cinématographie de Claude Sautet. Et pourtant… Car si l’illustre metteur en scène de Romy Scheinder, Michel Piccoli et Yves Montant a effectivement gagné ses lettres de noblesse dans les drames sentimentaux, il a pourtant fait à deux reprises une embardée dans le genre du polar : la plus fameuse est sans doute Max et les ferrailleurs (1971), dont le personnage navigue sur les flots de la moralité, en questionnant l’idée d’une justice personnelle, rigide et parfaite ; la seconde est une des œuvres les moins connues de Sautet, à tort, car c’est celle qui a contribué la première à sa reconnaissance. Qu’on s’entende : Classe tous risques (1960) n’est pas le premier film de Sautet, ayant réalisé auparavant un court et un long (Bonjour sourire en 1955), mais c’est celui qu’il considère comme son premier film personnel. Le film a d’ailleurs dépassé dans un premier temps À bout de souffle (1960) au box-office à sa sortie.


À la 7ème minute, le délit est commis, le vol de l’argent est fait. À la 21ème, le complice et la femme meurent. C’est la fin d’un film et le début d’un nouveau, comme si Sautet avait condensé les prérequis dramatiques dans un court-métrage précédent le véritable enjeu du film : comment rapatrier de Nice à Paris Abel Davos, à la fois gangster souhaitant se ranger et père voulant protéger son fils ? Ses amis, trop lâches pour descendre eux-mêmes l’aider, envoient en ambulance Erik Stark, un parfait inconnu, aider le père et le fils. Et puis une femme s’emmêle. Car il faut toujours une femme…

Tout ce début de film témoigne de la grande proximité que semble entretenir Sautet avec les Jeunes Turcs de la Nouvelle Vague : d’une part, l’esthétique se veut être dans l’éthique de son époque, notamment la scène de vol au début du film, tournée en caméra discrète, dans le rue, sans que les passants soient au courant ; d’autre part, les lieux de tournage sont ceux chéris et promus dans les films étiquetés Nouvelle Vague, avec la Cote d’Azur et la capitale, dans une progression toutefois inversée (généralement, on fuit Paris pour le Sud) ; enfin, la présence de Belmondo est somme toute anecdotique mais intéressante, en tant que figure du renouveau du cinéma français dans les années 60.

La dernière partie du film change à nouveau de registre, passant d’un film de cavale à un film de vengeance : la proie devient chasseur. Abel Davos cherche en effet à faire payer durement à ses « amis » leur non-assistance. C’est alors le retour au polar classique, plein de menaces, d’armes et de châtaignes.


Enfin, la force du film réside dans son casting, à l’image de ce qu’il représente : l’avènement d’un cinéma neuf qui n’oublie pas ses fondements. En soit, c’est une philosophie très Nouvelle Vague, qui reconnait la qualité d’auteurs à des réalisateurs « mentors ». Le mélange des genres, entre film d’auteur et polar, oscillant sans cesse entre innovations et respect du genre, permet une transition douce et très plaisante vers un cinéma qui se décrasse. C’est parfaitement ce que représentent Ventura et Belmondo. En effet, le premier, bien qu’ayant encore une carrière relativement récente à la sortie du film, est plutôt associé au cinéma de papas, et partage vite la même casquette que ses compagnons de jeu comme Gabin ou Blier, tandis que le second sera à l’affiche la même année du film le plus emblématique de la Nouvelle Vague. Et puis il y a les femmes, comme souvent le point faible des hommes, et comme toujours le point fort des films. La sublime Sandra Milo est le personnage le plus troublant du film et reste le peu de chaleur encore intact (avec l’enfant d’Abel Davos) au milieu de la froideur des règlements de compte.


Attention, le visionnage de Classe tous risques est irréversible, car une fois que l’on a goûté au polar, on n’y résiste plus.



Article rédigé par Flavien Nunez

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