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Ces messieurs de la Santé (1934), Pière Colombier - Critique

Ces messieurs de la Santé. Avant toute chose, une courte mise en bouche orthographique s’impose, et elle s’impose en trois temps : notons d’abord que, non content de se noyer dans la masse des prénoms prosaïques et banals, Pierre Colombier décida pour ce film, entre autres, d’ôter un de ses « r » siamois et de le troquer contre un accent grave afin que résulte dans le générique un curieux « Pière Colombier » - fantaisie d’artiste dirons-nous ; ensuite, au risque de décevoir certains spectateurs impatients de se plonger dans l’univers médical, il semble important de rappeler la présence de la majuscule au « Santé » du titre, qui ne renvoie ni aux blouses blanches ni aux seringues, mais plutôt à la prison du 14ème arrondissement de Paris, lieu de départ de l’intrigue ; enfin, si les plus pointilleux des lecteurs auront remarqué la forme pluriel « messieurs », ne nous y trompons pas, car n’y a en réalité qu’un monsieur qui importe réellement dans le film, et ce monsieur est Raimu.

Quoiqu’il en soit, Ces messieurs de la Santé est un de ces bonbons anciens oubliés dont on se rappelle avec douceur et nostalgie le délicieux goût qu’il nous a laissé en le dégustant lentement. On sent bien que Pierre Colombier, en véritable confiseur, a eu un plaisir enfantin à adapter la pièce de Paul Armont et Léopold Marchand (qui l’ont eux-mêmes réécrite pour le grand écran). Réalisé en 1934, le film peut, sans rougeurs aucunes, s’inscrire dans le sillage des meilleures comédies de l’époque, et l’on découvre dans la réalisation nette et sans bavure un petit maitre qui réalisera quelques années plus tard son grand film, Ignace (1937), dirigeant cette fois-ci Fernandel. Pourtant, réaliser Ces messieurs de la Santé n'était pas une tâche des plus simples, car prenant racine dans les tumultes d’une des affaires les plus retentissantes des années 30, le scandale Stavinsky. Défi réussi pour Colombier ! En évitant les allusions directes à ce coup d’éclat – peut-être par auto-censure – et en détournant l’argument politique vers une intrigue plus légère, le film en devient une excellente comédie populaire. Si le film débute effectivement part l’évasion d’un détenu de la prison de la Santé, Jules Taffard, dit Gédéon, et prend comme anti-héros cet évadé avide d’argent, le scénario va prendre la tangente comique dès lors que le bagnard se trouvera comme « planque » un boulot de veilleur de nuit pour une entreprise familiale fabriquant corsets et autres lingeries. On suivra alors la rapide et surprenante élévation de ce marginal dans la hiérarchie de l’entreprise quand seront découverts ses dons « insoupçonnés » pour les affaires. Faisant de tout un possible et de l’argent de tout, il n’est pas étonnant qu’il s’attitre la maternelle sympathie de la vieille gérante de l’entreprise, mais surtout de sa touchante cupidité, ainsi que de celle des autres membres de la famille. Enchainant les affaires de plus en plus folles et extravagantes – Gédéon ira jusqu’à faire spéculer sur des mines n’existant même pas, et vendra des armes de guerres pour quelque lointain conflit – même l’amour n’est pas épargné, et la belle Fernande, pourtant mariée, sera ballotée au gré des francs tout le long du film.

Et belle, Fernande, elle l’est, car ce n’est autre qu’Edwige Feuillère, la jeune reine de L’Aigle à deux têtes (1948) de Cocteau, qui lui prête ses traits pendant les bien trop courtes 115 minutes du long-métrage. Mais elle n’est pas la seule à porter le film par sa performance, et toute la distribution est en tout point sublime, j’en veux pour preuve deux exemples : alors, évidemment, il y a le monstre sacré qu’est Raimu, faisant ronronner aux oreilles de qui veut l’entendre les somptueux dialogues mêlés de la gouaille familière de l’acteur, et qui est à lui tout seul un film à part entière ; et puis aussi, il y a Pauline Carton, visage on ne peut plus familier du cinéma français dont elle a habité les seconds rôles sur près de 250 films, et dont les intonations parigotes donnent la réplique à Raimu tout en émouvant autant que faire se peut le spectateur.


Peut-on considérée la fin comme morale ? Certes non. Mais après tout, ce n’est qu’un film. Et on aura bien ri.



Article rédigé par Flavien Nunez


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