L'entretien qui va suivre est un échange de mails avec la productrice exécutive et créatrice de la compagnie Womanray, Marieke Tricoire.
Mateo Bernard : Bonjour Madame Tricoire, je voudrais tout d’abord vous remercier de votre gentillesse et de la réactivité dont vous avez fait preuve.
En tant que productrice, quel a été votre rôle dans la restauration de ces différents films de MAN RAY ?
D’ailleurs, qu’est-ce qui vous a intéressé dans le travail du photographe ?
Sur votre site, nous pouvons voir que des cinéastes et autres artistes sont affiliés à votre entreprise, et notamment Jim Jarmusch. Le projet de restauration avec ce dernier vient-il de lui ou de vous ?
Quel a été le processus de création lors de cette collaboration avec son groupe SQÜRL ?
Merci beaucoup pour les réponses que vous pourrez m’apporter.
Marieke Tricoire : Bonjour Mateo, je vous donne la genèse du projet ça sera plus simple.
Nous collaborons avec Jim [Jarmusch] depuis 4 ans.
Lors de notre première rencontre, Jim et Carter [Logan] (autre membre du groupe SQÜRL) ont été intrigués par le nom de ma société. C’est là que nous avons découvert notre passion commune pour le mouvement dada, le surréalisme et MAN RAY en particulier. Carter m’a parlé alors de la performance musicale de SQÜRL sur les 4 films de MAN RAY or, à cause des restriction de droits de l’artiste (SQÜRL n’avait les droits de MAN RAY que pour leur concerts), aucune image et aucun enregistrement sonore de leur projet n’existait et ne pouvait être diffusé.
J’étais très frustrée de ne pouvoir rien voir ni entendre, je leur ai donc proposé de faire une captation de leur prochain concert et surtout de négocier les droits avec le MAN RAY Trust pour l'exploitation des films dans le cadre du projet de SQÜRL.
En concrétisant le projet j’ai découvert que le fichier des films de MAN RAY que SQÜRL utilisait pour leur ciné-concert était d’une qualité plus que médiocre, ils provenait d’un DVD acheté par Jim en 2007 au Centre Pompidou. J’ai commencé à chercher des fichiers de meilleur qualité, et je suis arrivée au constat surprenant qu’il n’existait pas de versions restaurées des films de MAN RAY dans le Monde. J’ai donc proposé à la MAN RAY Trust de lancer cette restauration des 4 films en 4K.
Nous avons lancé des recherches auprès des institutions mondiales qui possèdent des oeuvres de MAN RAY le Centre Pompidou à Paris, le MoMA à NYC, le CNC, la Cinémathèque Française, la Library of Congress à Washington DC et nous avons fait un appel mondial aux archivistes de cinéma pour essayer de trouver les meilleurs éléments possibles.
MAN RAY a tourné ses films entre 1923 et 1929 sur film nitrate 35 mm.
Les copies nitrate d’origine de L’étoile de Mer et du Retour à la Raison appartiennent à la Cinémathèque Françaises elles ont été retrouvées parmi les films archivés dans le bunker nitrate du CNC.
Emak-Bakia a été retrouvé à la Library of Congress, il manquait quelque plans de fin de ce film. Nous les avons pris dans une copie 5ème génération de Pompidou.
Le nitrate d’origine (1929) de la famille Noailles des Mystères du Château du Dé était aussi dans le bunker du CNC. Le petit fils de Charles et Marie-Laure de Noailles nous a autorisé à sortir cette copie. Malheureusement le nitrate de ce film a viré, la copie est devenu un bloc de sel, les images sont presque toutes complètement effacées. Nous ne pouvons plus rien faire pour cette copie. Heureusement que nous avions la copie 35 mm de 3ème génération du Centre Pompidou. C’est celle que vous avez vue dans Return to Reason.
Nous continuons tout de même les recherches pour ce film.
La plupart des films nitrates que MAN RAY a légué aux USA ont disparu dans un incendie à NYC dans les années 50 (le nitrate est hautement inflammable), mais il arrive que des copies non déclarées ou mal référencées ressorte lors de recherches.
Comme Jim et Carter, je suis fascinée par la poésie et la liberté prise par les artistes surréalistes il y a 100 ans. MAN RAY a utilisé la pellicule littéralement comme une toile. Il n'a pas mis de frontières dans ses expérimentations. Ses films se regardent comme des tableaux, chaque spectateur ressent des émotions très personnelles qui peuvent varier d’une vision à l'autre. La musique de SQÜRL a le même ADN poétique et onirique, c’est pourquoi l’association des images de MAN RAY avec la musique de SQÜRL fonctionne si bien, leur association apporte une dimension supplémentaire aux films. Vous pouvez accéder aux premières interviews données par Jim et Carter via notre site ici : https://womanray.fr/featured_return-to-reason
Un entretien mené par Mateo Bernard