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L’amour fou, Jacques Rivette (1969) - Théâtre de la Vie

Dernière mise à jour : 31 mai 2023

L’amour fou, c’est l’histoire d’amour/haine complexe de ses deux personnages principaux… mais c’est aussi la relation ambiguë de son réalisateur, Jacques Rivette, au théâtre. Au-delà de la mise en place diégétique d’une pièce de théâtre, c’est surtout les questionnements, que soulève l’art du spectacle, qui intéressent le cinéaste. Par sa durée - 4 heures - le film interroge le spectateur sur son rapport à l'œuvre, de ce qu’il peut endurer ; en témoigne le nombre de personnes sorties de la salle, passée la moitié du film. De plus, l’artiste crée de véritables scènes théâtrales qui, fonctionnant dans leur unité de lieu, instaurent aussi un rythme proche de la réalité du spectateur : la durée des événements cinématographiques est la même que celle vécue par la salle. Il faut ressentir la longueur pour vivre pleinement l'œuvre. Ainsi, Rivette construit son film, tantôt comme une comédie, tantôt comme une tragédie, par la mise en “scène” d’épisodes du quotidien. Ceci ne signifie pas que L’amour fou serait une pièce de théâtre filmée ; au contraire, le cinéaste refuse de faire du cinéma le lieu d’un autre art. Les raccords dans l’axe qui permettent les gros plans sans éluder, éclipser la réalité du temps passé en sont la preuve.


Enfin, le théâtre est aussi une manière de remettre en question le travail des acteurs. Bulle Ogier déclarait, juste avant la projection, que Jean-Pierre Kalfon et elle n’avaient jamais été autant dans le réel du jeu que dans ce film. En effet, le théâtre est la zone d’un jeu bien particulier qui, associé à la fausseté des décors, n’en ressort que plus juste. Or au cinéma, c’est bien la réaction inverse qui se produit. Alors Rivette, conscient de cela, va opposer et mettre en exergue cette difficulté lors d’une discussion, au bout d’une heure de film, entre le personnage de Kalfon et son assistante, interprétée par Michèle Moretti. Les répétitions n’avancent pas car les comédiens ne savent plus déclamer leur texte dès qu’ils sont sur la scène de théâtre. Néanmoins, ils y arrivent parfaitement lorsqu’ils mêlent le texte à des situations du quotidien, au café par exemple. Pour jouer juste, il faut connaître le texte et ses intentions ; pour jouer vrai, il faut le vivre, ne pas le reproduire. Si Bulle Ogier est si juste et vraie, c’est parce que Rivette lui a modelé un rôle qu’elle a vécu.

Un texte de Mateo Bernard.

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